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Le 20 mai 2015, dans l’affaire Re Pallen Trust, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rendu une décision attendue en confirmant une annulation en équité (« equitable rescission ») de dividendes pour cause de planification fiscale défaillante, et ce, en vertu d’un recours en équité de Common Law. Cette affaire est particulièrement intéressante, puisqu’un recours équivalent pourrait être intenté au Québec à l’aide d’un recours en annulation fondé sur l’erreur quant à un élément essentiel qui a déterminé le consentement ou encore, depuis l’arrêt Québec (Agence du revenu) c. Services environnementaux AES inc., en vertu d’un recours en rectification.

Les faits

M. David Pallen est l’actionnaire majoritaire de la société Integrated Pest Supplies Ltd. (« Integrated »), une société exploitant une entreprise familiale grossiste en produits antiparasitaires. En 2007, M. Pallen et son avocat sont approchés par une firme comptable, Meyers Norris Penny LLP (« MNP ») qui désire leur proposer une planification de réorganisation se fondant sur l’application du par. 75(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») en vigueur à ce moment. 

La planification proposée par MNP, décrite dans un mémo du 14 décembre 2007, comprend principalement les étapes suivantes :

  • création de deux nouvelles sociétés, D.W. Pallen Holdings Ltd. (« Pallen Holdings ») et DWP Holdings Ltd., chacune propriété de M. Pallen ;
  • création d’une fiducie discrétionnaire qui serait appelée « Pallen Trust » ayant notamment Pallen Holdings comme bénéficiaire ;
  • fusion des sociétés DWP Holdings Ltd et Integrated afin de former Integrated Pest Supplies Ltd. (« New Integrated ») ;
  • Lors de la fusion, 100 actions participantes et votantes de catégorie « A » de New Integrated sont émises en faveur de M. Pallen;
  • Les actions de New Integrated sont vendues à Pallen Holdings, par voie de roulement fiscal en vertu du par. 85(1) LIR, en échange de 99 actions de Pallen Holdings ;
  • Pallen Holdings paie 100 $ à New Integrated pour souscrire à 100 actions de catégorie « D », cette valeur représentant la JVM;
  • Pallen Holdings vend ces 100 actions de catégorie D à Pallen Trust pour 100 $ payable à même un emprunt contracté auprès de Pallen Holdings ;

Selon MNP, cette planification entraînerait l’application du par. 75(2) LIR, et ce, peut importe que la manière dont les actions sont transférées à Pallen Trust, que ce soit à la juste valeur marchande (« JVM ») ou à titre gratuit. Ainsi, Pallen Holdings se verrait imposée sur le revenu de dividendes reçu sur ses actions de catégorie « D » détenues par Pallen Trust, et ce, peut importe si ce dividende est attribué ou non aux bénéficiaires.

En 2008, la planification est approuvée par M. Pallen et mise en place. Des dividendes totalisant 1 750 000 $ sont déclarés par New Integrated à son actionnaire Pallen Trust en 2008, payables par l’émission de billets à demande sans intérêts. En 2010, New Integrated a procédé à un paiement de 250 000 $ en réduction du solde dû sur le billet et aucun autre paiement n’a été fait ensuite.

En 2011, la Cour canadienne de l’impôt rend la décision Sommerer c. La Reine, 2011 CCI 212, confirmée par la Cour d’appel fédérale par l’arrêt Canada c. Sommerer, 2012 CAF 207 (ci-après l’arrêt « Sommerer »), statuant que le par. 75(2) LIR ne s’applique pas dans un contexte où un bien est vendu à une fiducie à la JVM. Ainsi, les prémisses de la planification ne sont plus applicables, puisque les actions de New Integrated ont été transférées à Pallen Trust à la JVM. Pallen Trust, récipiendaire de dividendes qui n’ont pas été attribués à un bénéficiaire, devrait s’imposer sur les dividendes au taux d’imposition le plus élevé.

En 2012, se fondant sur l’arrêt Sommerer, l’Agence du revenu du Canada (l’ « ARC ») décide d’établir une nouvelle cotisation à l’encontre de Pallen Trust, écartant l’application du par. 75(2) LIR telle qu’elle se faisait avant l’arrêt Sommerer pour réévaluer la transaction en fonction de la nouvelle interprétation de ce paragraphe, ajoutant ainsi un revenu 2 187 500 $ à Pallen Trust pour l’année 2008. La charge fiscale s’élève à 552 678 $, plus intérêts.

Pour ces motifs, une demande d’annulation des dividendes est déposée à la Cour suprême de Colombie-Britannique.

Première instance

Détermination du droit applicable à une demande d’annulation

Le juge Masuhara passe en revue la jurisprudence récente ayant trait à l’annulation d’une disposition volontaire dans le cadre d’un recours en équité, notamment l’affaire Pitt v. Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs, [2013] UKSC 26 (« Pitt ») au Royaume-Uni. Il détermine que, pour obtenir l’annulation, le cédant doit démontrer qu’il a commis une erreur dont le caractère est suffisamment sérieux pour faire en sorte qu’il serait injuste que le cessionnaire conserve le bien. L’erreur dont il est question peut être une erreur de fait ou de droit. Bien qu’il ne soit pas lié par l’affaire Pitt rendue dans une autre juridiction, le juge détermine que l’approche décrite dans l’affaire Pitt doit être utilisée.

Détermination de la présence d’une erreur de gravité suffisante pour permettre l’ann

Dans son analyse, le juge Masuhara détermine que la planification mise en place ne visait pas seulement la protection d’actif, mais que les implications fiscales étaient fondamentales. La preuve non contredite démontre qu’avant l’affaire Sommerer, la compréhension générale des professionnels de la fiscalité au Canada, tout comme la position administrative de l’ARC, était à l’effet que le par. 75(2) LIR trouvait application que la fiducie ait acquis le bien à la JVM ou par donation. De plus, la couronne n’a fourni aucune justification afin de permettre d’accepter une cotisation en vertu d’une autre disposition que le par. 75(2) LIR.

Le juge Masuhara note que l’ARC n’aurait probablement pas vérifié ce type de transaction n’eut été du changement d’interprétation du par. 75(2) LIR par l’affaire Sommerer et accepte le témoignage de M. Pallen à l’effet qu’il n’aurait pas accepté la mise en place de cette planification s’il avait su qu’il devrait payer un impôt au taux marginal le plus élevé sur les dividendes.

Conclusion – Première instance

Bien qu’il y ait eu un élément de risque dans la mise en place de la planification, la compréhension générale de la loi à cette époque faisait en sorte que ce risque n’était pas un facteur suffisamment important pour empêcher la mesure correctrice demandée. Le juge Masuhara conclu que la mesure correctrice demandée par la demanderesse doit être accordée, puisque les implications fiscales de la planification étaient fondamentales, que la planification se basaient sur une erreur de droit dont la gravité est significative et qu’aucun préjudice n’est causé à un tiers en octroyant la mesure correctrice. Sans l’arrêt Sommerer, l’ARC n’aurait pas vérifié à nouveau cette transaction. Il serait donc injuste (« unfair ») de ne pas accorder l’annulation.

Appel

Le 20 mai 2015, la Cour d’appel de Colombie-Britannique, sous la plume de la juge Newbury, maintient la décision de première instance annulant les dividendes.

Motifs d’appel

La couronne fonde son appel sur trois motifs :

  • Le juge de première instance a erré en annulant le dividende et le billet, puisqu’il n’a pas appliqué correctement le test pour l’annulation en équité ;
  • Le juge de première instance a erré en affirmant que l’ARC n’aurait pas contesté la stratégie n’eut été de l’affaire Sommerer ;
  • Le juge de première instance a erré en ordonnant l’annulation du dividende ab initio, puisque la juridiction d’équité ne permet pas d’invalider avec effet rétroactif une transaction qui serait autrement valide.

Analyse

Mauvaise application du test permettant l’annulation

L’ARC, dans la plaidoirie, se fonde sur diverses décisions de Common Law où les tribunaux ont refusé d’accorder l’annulation selon le principe qu’on ne peut réécrire l’histoire de manière à obtenir un traitement fiscal plus favorable. Notamment, l’ARC s’appuie sur les arrêts de la Cour suprême du Canada dans les arrêts AES et Riopel (2013 SCC 65). Après avoir résumé les faits de ces décisions, la juge reprend les arguments de l’ARC à l’effet qu’une rectification n’est pas une invitation à prendre part à de la planification fiscale audacieuse en assumant qu’il serait possible de corriger rétroactivement les contrats si la planification ne fonctionnait pas. Elle cite le passage qui indique qu’une rectification sur la base de l’art. 1425 C.c.Q. ne peut être accordée s’il n’est pas possible de clairement démontrer que l’intention initiale des parties n’est pas reflétée dans le contrat. Il est donc essentiel que le contribuable puisse démontrer clairement une intention de procéder à des transactions sans conséquences fiscales. La juge Newbury rejette un courant jurisprudentiel « moraliste » qui s’oppose à la rectification selon des principes moraux lorsque les principes juridiques et factuels sont respectés (voir notamment : Bramco (1995 CanLII 745)  ; 65302 BC Ltd. [1999] 5 S.C.R. 804 et Eldridge [1964] C.T.C. 545).

La juge Newbury adopte la position développée dans Pitt en ces mots :

« This approach is in my view consistent both with Equity’s role in cases such as this, and with the notion that taxpayers must generally accept the consequences of their tax planning. Carrying out a fact-focussed analysis should ensure that the “social evil” of aggressive tax avoidance can, where it is just to do so, be appropriately disincentivized, and on the other hand that where the taxpayer’s conduct has been reasonable (or as here, was induced by CRA’s own published bulletins), he or she is not unfairly penalized by an unexpected change of position on the part of the fiscal authority. »

Finalement, la juge détermine que le juge de première instance a fait une étude exhaustive des faits et du droit applicable et note qu’il serait injuste de ne pas accorder la mesure correctrice en équité.

L’ARC n’aurait pas contesté la stratégie sans Sommerer

La juge Newbury revient sur le contexte factuel de l’affaire, souligne que l’ARC dans différentes publications pendant des décennies a maintenu la même interprétation du par. 75(2) LIR et rejette ce motif d’appel.

Annulation ab initio

Après une brève analyse, la juge Newbury conclu qu’un contrat annulable a des effets entre les parties jusqu’à son annulation, mais qu’une fois annulé, il est réputé ne jamais avoir existé. En droit civil Québécois, il s’agirait donc de l’effet de l’annulation (qui a un effet rétroactif, puisqu’elle remet les parties dans leur situation initiale comme si la transaction n’avait jamais eu lieu) par rapport à la résiliation (résolution sans effet rétroactif d’un contrat) et à la résolution (qui peut être rétroactive, mais qui s’opère généralement suite à un défaut ou une impossibilité d’exécuter ses obligations).

Conclusion

Bien que les faits de l’affaire Re Pallen Trust soient particuliers, il est possible d’en déduire qu’une transaction commerciale, dont l’un des objectifs est d’éviter toute conséquence fiscale, peut être annulée en vertu de la Common Law si elle était fondée sur une interprétation généralement reconnue de la loi, tant par les professionnels que par les autorités fiscales et que cette interprétation venait à changer à cause de la jurisprudence.

Cela dit, l’annulation en équité de Common Law, tout comme l’annulation en droit civil québécois, ne peut être accordée que s’il est possible de prouver que le consentement est vicié par une erreur sur un élément essentiel du contrat.

Cette décision est intéressante, puisqu’elle confirme la possibilité d’annuler une transaction fondée sur l’interprétation courante d’une disposition fiscale si, en raison d’un changement jurisprudentiel, cette interprétation venait à changer.