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Les dispositions de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières (« L.D.M.I. ») font rarement l’objet d’interprétation de la part des tribunaux. Cela dit, quelques affaires récentes ont permis aux tribunaux de se prononcer relativement au sens à donner à différentes expressions utilisées dans cette loi. Nous présentons quelques décisions qui confirment le sens à donner à quelques expressions ou termes importants utilisés dans les dispositions d’exonération de droits sur les mutations immobilières.

Le sens à donner à l’expression « au moins 90 % des actions émises, ayant plein droit de vote »

  • Affaire Lebco Gestion 

Dans l’affaire Lebco Gestion inc. c. Laval (Ville de), 2015 QCCS 1704 (« Lebco Gestion »), rendue le 23 avril 2015, la Cour supérieure doit interpréter le sens de la notion de « personnes morales étroitement liées » du paragraphe 19d) L.D.M.I., plus particulièrement le sens d’« au moins 90 % des actions émises, ayant plein droit de vote, du capital-actions de la personne morale ».

Dans cette affaire, M. Lebrun est propriétaire de toutes les actions de la société alors connue sous le nom de PMP Repro Media inc. (« PMP »). Cette société détient un immeuble. M. Lebrun désire vendre un certain nombre de ses actions de PMP à des tiers investisseurs, mais souhaite conserver l’entière propriété de l’immeuble. Ainsi, M. Lebrun constitue une nouvelle société, maintenant connue sous le nom de Lebco Gestion inc. (« Lebco »), dont il est l’unique actionnaire, en vue d’y transférer son immeuble. Afin d’éviter le paiement de droits de mutation, les fiscalistes de M. Lebrun lui recommandent de façonner le capital-actions des sociétés de manière qu’au moins 90 % des actions émises, ayant plein droit de vote, de Lebco, la société qui achète l’immeuble, soient détenues par PMP, qui cède l’immeuble. Ainsi, avant de céder son immeuble, PMP émet 5 000 actions de catégorie « A » à Lebco et 100 actions de catégorie « F » à M. Lebrun. Les actions de catégorie « A » confèrent à leur détenteur un vote par action, alors que les actions de catégorie « F » confèrent à leur détenteur 100 votes. Seules les actions des catégories « A » et « F » comportent un droit de vote. Ainsi, Lebco détient 98 % des actions conférant un droit de vote alors que M. Lebrun détient 66 2/3 % des votes et, de ce fait, exerce le contrôle de jure de PMP. L’un des objets d’une telle répartition était d’éviter un inceste corporatif entre PMP et Lebco.

La Ville de Laval prétend qu’il ne faut pas limiter l’analyse de l’actionnariat au seul calcul du nombre d’actions avec droit de vote, mais qu’il faut plutôt rechercher l’intention du législateur qui n’était d’accorder une exonération que si une société était contrôlée à plus de 90 % par l’autre, peu importe le nombre d’actions. Lebco, quant à elle, prétend que la loi est claire et qu’il est inutile de tenter de lui donner un autre sens que son sens littéral.

Dans son analyse, la Cour fait la revue de la doctrine en matière d’interprétation des lois et note que l’intention du législateur doit primer, même si un texte de loi peut apparaître clair à sa seule lecture. La Cour fait quelques constats en analysant l’expression « au moins 90 % des actions émises, ayant plein droit de vote, du capital-actions de la personne morale » :

  • Le chiffre 90 % est un indicateur de très grande proximité souhaitée par le législateur entre deux personnes morales;
  • Si l’on fait référence à des actions ayant plein droit de vote, cela suppose qu’il peut exister d’autres catégories d’actions ne conférant pas de droit de vote;
  • Le droit de voter qui se rattache aux actions ne doit être limité d’aucune façon, puisque les actions doivent donner « plein droit de vote »;
  • La notion de « plein droit de vote » pointe vers une notion de contrôle des affaires d’une société par l’autre.

La Cour note que toutes ces indications permettent de conclure que le législateur voulait :

« […] non seulement que la société qui détient ces actions puisse exercer son droit de voter lors de toutes assemblées des actionnaires et sur tous les sujets soumis à l’attention des actionnaires, sans réserve aucune, mais aussi qu’une des personnes morales partie au transfert de l’immeuble puisse à la fois contrôler l’autre (en demandant une détention supérieure à 50 % des actions votantes du capital-actions de l’autre) et, en exigeant que cette détention atteigne le seuil minimal de 90 %, qu’il n’y ait aucun changement significatif de patrimoine en faveur de tiers. » (par. 37)

Cela dit, la Cour se fonde plutôt sur le texte même du capital-actions de PMP pour rendre sa décision. En effet, la description du capital-actions de PMP contenue dans ses statuts décrit que les actions de catégorie « F » détenues par M. Lebrun lui permettent de voter « à toutes assemblées des actionnaires » alors que les actions de catégorie « A » détenues par Lebco lui permettent de voter « à toutes les réunions des actionnaires, exception faite des réunions auxquelles seulement les détenteurs d’une catégorie spécifique d’actions ont le droit de voter ». La Cour en tire la conclusion que les droits de vote conférés par les actions de catégorie « A » sont limités, si on les compare à ceux conférés par les actions de catégorie « F ».

Pour ces motifs, la Cour détermine que Lebco ne se qualifie pas afin de bénéficier de l’exonération des droits sur les mutations immobilières. La Cour précise que d’accepter les prétentions de Lebco équivaudrait à reconnaître que des parties peuvent convenir de créer une fiction qui les soustrairait à l’application d’une loi d’ordre public.

La conclusion de la Cour nous semble un peu alambiquée, puisque les termes utilisés dans le capital-actions de Lebco semblent faire référence aux circonstances où la Loi sur les sociétés par actions permet aux détenteurs d’actions ne comportant aucun droit de vote de tout de même voter en certaines circonstances exceptionnelles, comme lorsque leurs droits sont touchés. La Cour semble avoir interprété de manière erronée le texte du capital-actions de Lebco, puisque, que ce soit prévu ou non dans le capital-actions, les actionnaires détenteurs d’actions avec droit de vote sont tenus de voter sur toute résolution ordinaire ou spéciale, mais pas lorsqu’en vertu de la Loi sur les sociétés par actions les détenteurs d’autres catégories prises individuellement sont fondés à voter séparément.

Il est intéressant de faire un parallèle entre l’utilisation des mots « 90 % des actions émises, ayant plein droit de vote » utilisés dans la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières et les mots « 10 % des actions émises (comportant plein droit de vote en toutes circonstances) » utilisés au sous-alinéa 186(4)b)(i) de la Loi de l’impôt sur le revenu. En effet, l’Agence du revenu du Canada est d’avis que le pourcentage d’actions comportant plein droit de vote est déterminé en fonction du nombre d’actions détenues, sans égard au nombre de votes qui se rattache à chaque action (voir les interprétations techniques 2010-0359551I7 et 2014-0538081C6). Cela contraste avec la conclusion de la Cour dans l’affaire Lebco Gestion qui laisse entendre en obiter dictum que le nombre d’actions importe peu et qu’il faut plutôt contrôler l’équivalent de plus de 90 % des votes rattachés aux actions. Cette interprétation nous semble erronée. D’ailleurs, elle n’a pas été reprise dans l’affaire Immeubles Jacob-Thibault inc. c. Trois-Rivières (Ville de), 2015 QCCQ 6551, rendue quelques semaines plus tard.

  • Affaire Immeubles Jacob-Thibault 

Dans son jugement rendu le 25 mai 2015, la Cour du Québec livre également une interprétation du sens de la notion d’« au moins 90 % des actions émises, ayant plein droit de vote, du capital-actions de la personne morale » de l’article 19 L.D.M.I. 

Dans cette affaire, la société 9145-6822 Québec inc. (« 9145 ») cède à la société Les Immeubles Jacob-Thibault inc. (« Jacob-Thibault ») quatre immeubles par convention de vente par roulement fiscal. Trois de ces immeubles sont situés à Trois-Rivières. Au moment du transfert des immeubles, Jacob-Thibault contrôlait 94,68 % des votes rattachés aux actions de 9145. Cependant, elle ne détenait que 54 % des actions émises, ayant plein droit de vote du capital-actions de 9145. En effet, Jacob-Thibault détenait des actions lui donnant 5 000 votes par action et d’autres actions lui donnant seulement un vote par action. Les autres actions avec droit de vote étaient détenues par les mêmes personnes, tant dans le capital-actions de Jacob-Thibault que dans 9145.

La Cour se penche notamment sur la notion de personnes morales étroitement liées. Puisque Jacob-Thibault contrôlait de facto les destinées de 9145 à l’aide de leurs actions comportant plusieurs votes par action, les procureurs demandent une interprétation large de l’article 19 L.D.M.I. qui donnerait ouverture à l’exonération. Après une brève analyse du contexte de l’article 19 L.D.M.I., la Cour indique que les critères permettant d’établir qu’une personne morale est étroitement liée à une autre personne morale ne souffrent d’aucune imprécision et ne nécessitent aucun effort interprétatif. La loi indique clairement qu’il faut tenir compte du nombre d’actions conférant un droit de vote et non du nombre de votes conférés par les actions détenues. Dans cette affaire, la Cour conclut que les sociétés ont créé une structure d’entreprise dont elles tirent certainement des avantages, mais pas celui d’obtenir une exonération des droits sur les mutations immobilières. Il est intéressant de noter que la Cour n’a pas eu à se prononcer sur la notion de « plein droit de vote » dans cette affaire.

Le sens à donner à l’expression « détenir temporairement l’immeuble jusqu’à ce que cette personne morale soit constituée »

Dans l’affaire Groupe Corbeil inc. c. Trois-Rivières, 2015 QCCQ 4506, rendue le 7 mai 2015, la Cour du Québec, division des petites créances, a eu à se prononcer sur le sens de l’expression « détenir temporairement l’immeuble jusqu’à ce que cette personne morale soit constituée » contenue au paragraphe 20b) L.D.M.I.

Dans cette affaire, la société Groupe Corbeil inc. (« Corbeil ») est constituée le 30 mars 2010 dans le but de procéder à un projet de développement immobilier. Cependant, des changements dans la nature du projet auraient entraîné des retards dans sa réalisation de telle sorte que Corbeil est demeurée une société inactive. Fiducie Location Hestia (« Fiducie ») est constituée le 3 juillet 2013. Les 23 août 2013, 2 octobre 2013 et 16 décembre 2013, Fiducie acquiert différents immeubles. Le 12 mai 2014, Fiducie vend les immeubles à Corbeil et cette dernière se prévaut de l’exonération des droits sur les mutations immobilières du paragraphe 20b) L.D.M.I. laquelle prévoit qu’il y a exonération lorsque « l’acte est relatif au transfert d’un immeuble à une personne morale alors que le cédant est une fiducie qui a été constituée dans le seul but d’acquérir et de détenir temporairement l’immeuble jusqu’à ce que cette personne morale soit constituée ».

Corbeil prétend que le paragraphe 20b) L.D.M.I. ne doit pas être interprété de façon stricte et que le fait que sa date de constitution soit antérieure à la date de constitution de Fiducie et à la date d’achat des immeubles ne devrait pas avoir d’incidence, puisque la société était inactive. Autrement dit, il est question ici de recycler une société « tablette » au lieu d’en constituer une nouvelle. Cependant, la Cour indique qu’une disposition visant une exonération est une disposition d’exception et doit ainsi recevoir une interprétation stricte. Pour ces motifs, la Cour refuse la demande d’exonération de Corbeil, puisque cette dernière était déjà constituée au moment où Fiducie s’est porté acquéreur des immeubles. 

Le sens à donner à la notion d’entreprise dans l’expression « l’entreprise du cessionnaire consiste dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles »

Dans une décision rendue le 25 septembre 2014, dans l’affaire Gagnon c. Laval (Ville de), 2014 QCCQ 10043, la Cour du Québec, division des petites créances, a clarifié le sens du mot « entreprise » dans le contexte de l’article 18 L.D.M.I.

Dans cette affaire, M. Louis-Henri Mercille, un notaire retraité, indique avoir fait bénéficier son épouse, Mme Gagnon, et ses enfants, de certaines occasions d’investissement. C’est dans ce contexte que Mme Gagnon aurait agi comme prêteur en 2011 auprès du propriétaire d’un immeuble commercial à Laval. Ce prêt était garanti par une hypothèque de premier rang grevant l’immeuble. Après un défaut de l’emprunteur, Mme Gagnon entreprend des procédures judiciaires en prises de paiement et devient propriétaire de l’immeuble en 2013.

Mme Gagnon prétend qu’elle bénéficie de l’exonération prévue à l’article 18 L.D.M.I., puisque son entreprise consiste dans le prêt d’argent assorti de sûretés réelles et qu’elle satisfait par ailleurs aux autres conditions de l’article 18 L.D.M.I. La Ville de Laval, quant à elle, prétend que Mme Gagnon n’exploite pas une entreprise de prêt d’argent.

La Cour note que le mot « entreprise » n’est pas défini à la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières et se tourne vers le Code civil du Québec et le Dictionnaire de droit québécois et canadien pour en déduire qu’une entreprise consiste en une activité économique organisée. Selon la preuve disponible, Mme Gagnon a agi comme prêteur dans le cadre de financements assortis de sûretés réelles à trois reprises, soit en 2003, 2004, puis en 2011. Il s’agit d’une activité épisodique et occasionnelle et non de l’exploitation d’une entreprise. Pour ces motifs, la Cour refuse l’exonération des droits sur les mutations immobilières.

Conclusion

Il est important de retenir que les cas d’exonération du paiement de droits de mutation doivent être interprétés de manière restrictive. Ainsi, il est essentiel pour les professionnels qui supervisent le transfert d’immeubles de s’assurer que la lettre de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières est respectée. Dans le cas plus spécifique de personnes morales étroitement liées, il faudra accorder une attention toute particulière à la manière de rédiger le capital-actions des sociétés afin de s’assurer que les actions de la société cessionnaire confèrent réellement de pleins droits de vote à son actionnaire. En effet, puisque la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières ne contient aucune clause antiévitement, les tribunaux feront une interprétation stricte de la loi qui risque de ne pas donner ouverture à l’exonération.

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Avocat, M. Fisc. Martel, Cantin avocats thierrymartel@martelcantin.ca