Au cours des dernières années, les réformes législatives provinciales et fédérales ont instauré un virage majeur vers la transparence corporative. Dans une perspective de lutte contre l’évitement fiscal, la criminalité économique et le blanchiment d’argent, le législateur canadien a mis en place de nouvelles obligations de divulgation visant à identifier les personnes physiques qui contrôlent ou bénéficient effectivement des structures juridiques. Ce mouvement s’exprime notamment à travers l’élargissement des obligations déclaratives des fiducies, l’introduction du concept de bénéficiaire ultime (« BU ») en vertu de la Loi sur la publicité légale des entreprises du Québec (« LPLE ») et la création d’un registre des particuliers ayant un contrôle important (« RPCI ») pour les sociétés régies par la Loi canadienne sur les sociétés par actions (« LCSA »).
Vers un régime de transparence intégrée : obligations élargies de divulgation applicables aux fiducies, leurs fiduciaires et leurs bénéficiaires
Publié dans :
Stratège, 30 :3 (automne 2025)Index
Les nouvelles obligations de divulgation relatives aux fiducies en vertu des lois fiscales : une transformation profonde
Depuis 2023, les fiducies résidentes du Canada sont visées par un régime renforcé de déclaration. La Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») et la Loi sur les impôts du Québec (« LI ») imposent désormais à la grande majorité des fiducies de produire, au fédéral, une déclaration de revenus T3 accompagnée de l’Annexe 15 et de déclarer, au provincial, de nouvelles informations dans la TP-646, à moins de satisfaire à certaines conditions d’exemption.
Bien que l’Agence du revenu du Canada ait accordé un allégement administratif pour les années 2023 et 2024 en ce qui concerne les fiducies dites « simples » — les bare trusts — cet allégement a peu d’incidence pour les praticiens québécois, puisque ce type de fiducie n’existe pas en droit civil.
L’Annexe 15, qui doit être produite avec la T3, exige une ventilation complète des renseignements sur toutes personnes physiques ou entités impliquées dans la fiducie à titre de constituants, de fiduciaires, de bénéficiaires ou de détenteurs d’un pouvoir d’influence sur les décisions du fiduciaire concernant l’affectation du revenu ou du capital de la fiducie. Il ne s’agit pas simplement de nommer les parties, mais de fournir pour chacune d’elles l’adresse, la date de naissance (s’il y a lieu), la juridiction de résidence, ainsi que le numéro d’identification fiscale. Lorsqu’un bénéficiaire n’est pas encore connu au moment de la production, une description doit être fournie dans la Partie C du formulaire afin de permettre son identification ultérieure. Cette dernière exigence n’est pas prévue aux fins provinciales dans la TP-646.
Il convient de souligner que la notion de « bénéficiaire » retenue pour l’Annexe 15 est beaucoup plus large que celle prévue par le Code civil du Québec (« C.c.Q. »). En vertu du paragraphe 248(25) LIR, une personne est considérée ayant un droit de bénéficiaire dans une fiducie que son droit soit immédiat ou futur, conditionnel ou non, ou soumis ou non à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par une personne. Dès lors, les bénéficiaires dits « postulants » d’une fiducie discrétionnaire — bien qu’ils ne disposent pas de droits acquis dans le patrimoine fiduciaire, notamment en vertu de l’article 1284 C.c.Q. — doivent en principe être inclus dans la déclaration, dans la mesure où ils sont identifiables. Dans certains cas, cela peut représenter des dizaines de personnes!
Lois fiscales – sanctions prévues en cas d’omission ou de déclaration inexacte
Les législateurs ont assorti ces nouvelles obligations à des régimes de sanctions importants.
Sur le plan fédéral, les pénalités ont été mises à jour pour encadrer le défaut de production des renseignements sur la propriété effective ou le fait de produire une information erronée ou incomplète à leur égard :
- Paragraphes 163(5) et 163(6) LIR : en cas de fausse déclaration ou d’omission de manière volontaire (« sciemment ») ou dans des circonstances équivalent à faute lourde, prévoit une pénalité équivalente au plus élevé entre 2 500 $ et 5 % de la juste valeur marchande la plus élevée de l’année des biens détenus par la fiducie à ce moment.
En bref, il y a deux conditions d’ouverture à l’imposition d’une pénalité dans le cas d’une omission ou fausse déclaration relativement aux renseignements exigés à l’Annexe 15. La première vise l’omission faite « sciemment », c’est-à-dire, en connaissance de cause. Dans ces cas, la personne tenue de fournir des renseignements doit avoir une connaissance concrète et exacte de son obligation de produire des renseignements, et doit omettre de le faire. Il reviendra alors à l’ARC de démontrer que l’omission a été faite de manière délibérée. Le second cas est celui de l’omission faite dans des circonstances équivalent à une « faute lourde ». En droit civil, la faute lourde qualifie une conduite qui dénote une insouciance, une imprudence ou une négligence grossière. En d’autres termes, commets une faute lourde, une personne qui ne pouvait ignorer qu’elle avait l’obligation de produire des renseignements pour identifier une ou des « entités déclarables » au sens de la LIR.
Les pénalités déjà existantes continuent de trouver application :
- Paragraphe 162(7) LIR : prévoit une pénalité de 25 $ par jour, pour un minimum de 100 $ et jusqu’à un maximum de 2 500 $, pour défaut de produire un document ou de fournir un renseignement exigé.
- Paragraphe 163(2) LIR : en cas de fausse déclaration ou d’omission volontaire, prévoit une pénalité équivalente au plus élevé entre 100 $ et 50 % de l’impôt supplémentaire qui aurait été payable.
Dans une optique d’harmonisation avec les règles fédérales, le législateur québécois a également modifié le régime de sanctions pour refléter les exigences élargies de divulgation :
- Article 1049.0.0.1 LI (introduit par le projet de loi n° 75, sanctionné le 5 décembre 2024, en vigueur à compter de l’année d’imposition 2023) : prévoit une pénalité de 1 000 $ dès le défaut de transmettre une déclaration de revenus contenant les renseignements additionnels requis (notamment ceux relatifs aux fiduciaires et bénéficiaires de la fiducie), augmentée de 100 $ par jour à compter du deuxième jour de retard, jusqu’à concurrence de 5 000 $. Cette pénalité s’applique notamment lorsque la personne « sciemment ou dans des circonstances qui équivalent à de la négligence flagrante, soit fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration fiscale faite ou produite à l’égard d’une fiducie, (…), y participe ou y acquiesce, soit omet de faire une telle déclaration ».
Comme au fédéral, cette pénalité s’ajoute aux pénalités déjà existantes :
- Article 1045 LI : prévoit une pénalité en cas de défaut de produire la déclaration de revenus (formulaire TP-646) dans les délais prescrits, calculée en fonction de l’impôt impayé.
- Article 1049 LI : en cas de fausse déclaration ou d’omission volontaire, prévoit une pénalité équivalente au plus élevé entre 100 $ et 50 % de l’impôt supplémentaire qui aurait été payable.
- Article 59 de la Loi sur l’administration fiscale (« LAF ») : prévoit une pénalité de 25 $ par jour, jusqu’à concurrence de 2 500 $, pour toute omission de produire une déclaration ou un rapport requis par une loi fiscale, incluant le défaut de fournir des renseignements.
Cette présentation des pénalités possibles n’est pas exhaustive. Ces pénalités, tant fédérales que provinciales, témoignent de la volonté des législateurs de renforcer la transparence fiscale et d’assurer la rigueur des obligations déclaratives applicables aux fiducies.
Responsabilité des professionnels préparateurs
Les pénalités prévues par les lois fiscales ne se limitent pas aux fiducies elles-mêmes. En vertu de l’article 163.2 LIR, un professionnel qui prépare ou conseille la production d’une déclaration comportant une fausse représentation — notamment une Annexe 15 inexacte ou incomplète — peut se voir imposer une pénalité correspondant au moindre de celle du contribuable visé par le par. 163(2) LIR ou de 100 000 $, plus la rétribution brute du professionnel, mais pour un minimum de 1 000 $. Des dispositions similaires existent au Québec en vertu de l’article 62 LAF, permettant de viser toute personne qui facilite ou encourage une infraction fiscale, mais avec des amendes variant entre 2 000 $ et 1 000 000 $.
La notion de BU au Québec : une construction en évolution
En matière de transparence corporative, le Québec a adopté une approche distincte en modifiant la LPLE plutôt que la Loi sur les sociétés par actions. Depuis le 31 mars 2023, toute entité immatriculée au Registre des entreprises du Québec (« REQ ») est tenue de divulguer ses BU. Cela inclut les sociétés par actions, les sociétés de personnes, les coopératives, les fiducies exploitant une entreprise à caractère commercial et même certaines personnes physiques. L’objectif est de faire la lumière sur les personnes physiques exerçant un contrôle significatif ou bénéficiant des droits économiques sur l’entité.
Selon l’article 0.4 de la LPLE, est considéré comme BU toute personne physique qui contrôle ou détient, même de manière indirecte, ou est bénéficiaire, d’un nombre d’actions, de parts ou d’unités conférant au moins 25 % des droits de vote ou 25 % de la juste valeur marchande. Le concept s’étend également aux personnes physiques exerçant une influence suffisante pour constituer un contrôle de fait au sens de la LI (Art. 0.4 al. 5 LPLE). La personne physique qui agit comme fiduciaire d’une fiducie immatriculée ou comme commandité d’une société en commandite immatriculée doit également être déclarée comme BU.
Que faire quand une fiducie est actionnaire d’une société par actions?
La situation se complique quand les actions d’une société par actions visée par la LPLE sont détenues par une fiducie.
Que signifie alors l’expression « est bénéficiaire » d’actions, de parts ou d’unité de l’art. 0.4 al. 1 LPLE? On aurait pu penser que le bénéficiaire d’une fiducie qui détient des actions d’une société par actions immatriculée serait visé par cette expression relativement à cette société par actions. Toutefois, dans le processus parlementaire menant à l’adoption des changements à la LPLE qui ont créé le concept de BU, le législateur a cru bon d’ajouter un 2e alinéa de l’art. 0.5 LPLE qui vise exactement cette situation. Cet alinéa prévoit essentiellement que, lorsqu’il est possible de déterminer que les fiduciaires d’une fiducie qui détient des actions d’une société par actions se qualifient à titre de BU de cette société par actions, il faut alors considérer les bénéficiaires de cette fiducie comme des BU de cette société par actions.
Comment fait-on alors pour qualifier de BU d’une société par actions les fiduciaires d’une fiducie qui détient des actions de cette société par actions? Dans les derniers mois, lors de réunions informelles avec un groupe d’experts dont l’auteur de cet article fait partie, le REQ a partagé certaines orientations, sans que ces dernières aient pour le moment été intégrées officiellement dans sa position administrative publiée (notamment dans le guide « Comment identifier un bénéficiaire ultime? »). Ainsi, lorsqu’une fiducie détient des actions dans une société par actions immatriculée au Québec, les fiduciaires devraient chacun être déclarés comme détenant 100 % des actions faisant partie du patrimoine fiduciaire, à moins que l’acte de fiducie n’en dispose autrement. Cette interprétation repose sur l’article 1278 C.c.Q. selon lequel les titres sont établis au nom du fiduciaire, qui possède la maîtrise exclusive du patrimoine fiduciaire. Dès lors, même en l’absence d’un pouvoir exclusif, chaque fiduciaire serait réputé détenir l’intégralité des actions de la société par actions détenue par la fiducie. Il n’y a pas lieu de répartir les actions entre les fiduciaires comme s’il s’agissait d’une copropriété indivise.
Quant aux bénéficiaires, la LPLE prévoit que, si le droit des bénéficiaires dans le revenu ou le capital de la fiducie est fixe et que la fiducie n’émet pas d’unité, chacun des bénéficiaires, sans égard à son pourcentage de participation, devra être considéré comme un bénéficiaire de la société par actions dont la société détient plus de 25% des actions, en votes ou en valeur (art. 0.5 al. 1 LPLE). Si la fiducie émet des unités, il faut alors faire le produit des participations, c’est-à-dire multiplier le pourcentage de participation aux unités de la fiducie avec le pourcentage de participation qu’a la fiducie dans le capital-actions de la société par actions dont on souhaite identifier les BU (art. 0.4 al. 1 1° et 2° LPLE).
Que fait-on dans le cas d’une fiducie discrétionnaire qui détient les actions d’une société par actions? Selon le guide « Comment identifier un bénéficiaire ultime? publiée par le REQ sur son site web, seuls les bénéficiaires qui ont effectivement reçu une distribution de revenu ou de capital sont considérés comme des BU. Cette interprétation est difficilement justifiable, surtout quant à une distribution de revenu. Par exemple, une personne qui s’est vu attribuer un revenu de dividende par une fiducie avant l’introduction des nouvelles règles de l’impôt sur le revenu fractionné aura reçu une distribution de revenu. Même si cette distribution a eu lieu avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles et en l’absence d’autres distributions, cette personne sera considérée comme un BU! En quoi pourrait-on alors prétendre que cette personne a un droit quelconque dans les actions détenues dans le patrimoine fiduciaire?
Autres sens du terme « bénéficiaire »
L’expression « est bénéficiaire » d’actions, de parts ou d’unité n’était pas définie à la LPLE. Il faut s’en remettre au sens commun de ses termes et elle doit recevoir une interprétation large pour donner un sens à la LPLE. Par exemple, dictionnaire Larousse définit le terme « bénéficiaire » comme suit : « qui profite d’un bénéfice, d’un avantage ». Dans ce contexte, cette expression pourrait comprendre le propriétaire véritable d’actions inscrites au nom d’un prête-nom, puisque le propriétaire tire nécessairement un bénéfice de ces actions – elles lui appartiennent!
La LCSA et le registre des particuliers ayant un contrôle important
Sur la scène fédérale, la LCSA a été modifiée à plusieurs reprises pour renforcer la transparence des structures corporatives. Depuis juin 2019, les sociétés régies par cette loi sont tenues de maintenir un registre interne des particuliers ayant un contrôle important. Cette obligation a été substantiellement renforcée en janvier 2024, avec l’entrée en vigueur des dispositions de la Loi C-42, qui impose désormais la transmission de ces renseignements à Corporations Canada.
Le particulier ayant un contrôle important (« PCI ») est défini comme une personne physique qui détient ou contrôle au moins 25 % des actions avec droit de vote ou de la juste valeur marchande des actions en circulation. Cette définition inclut les cas de contrôle indirect ou de contrôle de fait, ainsi que les situations de détention conjointe, mais ne prévoit pas la détention indirecte. Les fiduciaires d’une fiducie détenant des actions d’une société de charte fédérale se qualifie de particuliers ayant un contrôle important à cause de la notion de détention conjointe qui ne figure pas à la LPLE. Les bénéficiaires ayant un droit fixe au revenu de la fiducie pourraient se qualifier de PCI, puisqu’ils disposeraient de la « propriété effective » des actions comprises dans le patrimoine fiduciaire. Quant aux bénéficiaires d’une fiducie discrétionnaire, à défaut d’une définition élargie comme dans les lois fiscales, il n’est pas clair qu’on doive les inclure à titre de particuliers ayant un contrôle important.
Les renseignements transmis à Corporations Canada incluent, notamment, le nom légal, la date de naissance, l’adresse résidentielle ou de signification, la citoyenneté, la juridiction de résidence ainsi qu’une description de la nature du contrôle. Ces renseignements sont partiellement publics : certaines informations sensibles, comme la date de naissance ou la citoyenneté, sont protégées, sauf exceptions prévues par la loi.
Les sanctions en cas de non-conformité sont sévères. Une société qui omet de tenir ou de transmettre le RPCI s’expose à une amende maximale de 100 000 $. Les administrateurs, dirigeants ou actionnaires qui participent sciemment à une infraction, ou qui autorisent une déclaration inexacte, peuvent être passibles d’une amende de 1 000 000 $ et d’un emprisonnement maximal de cinq ans. Ces peines, rehaussées par la Loi C-42, visent à dissuader toute opacité volontaire.
Défis d’interprétation et de coordination
Par ailleurs, la coexistence de plusieurs régimes — LIR, LI, LPLE et LCSA — exige une coordination étroite. Par exemple, une fiducie familiale est tenue de produire une Annexe 15 à l’ARC, une section 5.4 du TP-646 à Revenu Québec, et pourrait devoir déclarer ses fiduciaires (et ses bénéficiaires…) à titre de BU d’une société par actions au REQ et à titre de PCI à Corporations Canada. Toute divergence entre ces déclarations pourrait entraîner des sanctions ou des vérifications fiscales.
Conclusion
Le régime de transparence qui se dessine repose sur un principe simple : rendre visible ce qui, historiquement, était dissimulé derrière des structures juridiques complexes. Pour les fiscalistes, ces nouvelles obligations exigent une vigilance accrue, mais elles constituent aussi une occasion d’ajouter de la valeur en assurant la conformité proactive des structures mises en place. La compréhension approfondie des règles, leur articulation rigoureuse et leur mise en œuvre cohérente sont désormais des éléments centraux de toute stratégie patrimoniale ou corporative digne de ce nom.
Publié dans :
Stratège, 30 :3 (automne 2025)Index