Le 7 juin 2022, la Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité et d’état civil a obtenu la sanction royale. Ce projet de loi, le 2e déposé par le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) vise, tel que son nom l’indique, à moderniser l’encadrement juridique des familles modernes pour s’adapter à la réalité, notamment, des parents homosexuels, des personnes trans, de la procréation assistée, de la gestation pour autrui, etc. C’est un grand pas pour la société, mais il n’y a pas de quoi faire bondir le fiscaliste moyen. Pourquoi alors en parler dans le Stratège ? Parce que cette loi modifie plus de 40 lois et règlement du Québec, tout en créant une nouvelle loi dont l’une nous intéresse en particulier : la Loi sur la remise des dépôts d’argent aux cotitulaires d’un compte qui sont des conjoints ou des ex-conjoints (la « Loi »).
Pour les fiscalistes œuvrant en planification successorale au Québec, la présence d’un compte conjoint dont les clients sont cotitulaires s’est toujours avérée problématique. On recommande généralement aux cotitulaires de maintenir en parallèle de leur compte conjoint des comptes bancaires individuels distincts, lesquels sont garnis d’un petit coussin financier, puisque le décès d’un des cotitulaires entraînait le gel du compte conjoint. Dans le reste du Canada, les comptes conjoints contiennent habituellement un « droit de survie » qui crée une présomption que le cotitulaire survivant est le bénéficiaire de l’ensemble des fonds, faisant en sorte que le compte n’a pas à être gelé en cas de décès.
En effet, en droit civil, les sommes détenues dans un compte conjoint sont considérées comme des biens détenus en indivision dont on ne peut déterminer quelle part appartient à quel conjoint. Ainsi, au décès de l’un deux, il n’est pas possible de déterminer quelle part du compte appartient au conjoint survivant et quelle part fait partie de la succession du défunt à être distribuée parmi ses héritiers. Afin de protéger les héritiers, le compte conjoint est donc gelé temporairement par l’institution financière jusqu’à ce que le liquidateur de la succession soit en mesure de déterminer à qui les fonds sont dévolus.
La Loi vient changer cette situation d’une manière toute simple. Toute institution financière qui établira un compte conjoint devra conclure un contrat écrit avec les cotitulaires afin que ces derniers déclarent leur part respective dans le solde du compte (la « Déclaration »). Ainsi, au décès d’un cotitulaire, seule la quote-part du défunt sera gelée et le cotitulaire survivant pourra demander à l’institution financière qu’elle lui remette la part du solde du compte qui lui revient. La Déclaration doit se faire avant l’ouverture d’un compte ou à tout autre moment. De plus, cette Déclaration peut être modifiée en tout temps. À défaut de conclure une telle Déclaration, la part respective des cotitulaires équivaut à la moitié du solde du compte. La quote-part du défunt dans le compte conjoint sera quant à elle dégelée lorsque le liquidateur de la succession sera en mesure de démontrer à l’institution financière qu’il est chargé de l’administration du patrimoine du défunt.
Le Loi prévoit des pénalités aux institutions financières qui contreviendraient à leurs obligations. En effet, ces dernières doivent notamment informer par écrit les cotitulaires des conséquences de l’omission de faire la Déclaration et de leur obligation de l’aviser de toute modification quant à leur part respective. C’est également à l’institution financière qu’incombe d’obligation de remettre les fonds détenus au compte aux bonnes personnes.